Tu fais quoi à Noël ?

Décembre apporte avec lui chaque année la question qui dès lors va s’engouffrer dans le moindre de nos échanges : « Tu fais quoi à Noël ? » Sont nombreux sans doute ceux qui en feront un vrai moment de fête. Mais je reste frappée par la tonalité de beaucoup de réponses assez éloignées de l’ambiance festive et féérique qu’on nous inflige de toute part en chaque fin d’année.

Les boules ? Oui, mais pas là où on croyait. Une sorte de fatigue sournoise semble grignoter l’ambiance de fin d’année.
La famille réunie ?  Les tensions entre ses membres rendent parfois stressante la perspective des retrouvailles, quand elles sont encore possibles. Le rendez-vous annuel obligé s’est mué en devoir pénible qu’il s’agira de remplir par une implication minimale. Sans compter ces parents en solo qui ne recevront leurs enfants qu’après, le calendrier des gardes étant ainsi établi par voie judiciaire. Et leur absence se fera alors  rappel cinglant de l’échec conjugal.
Sans parler de ces personnes en solo-solo, sans l’avoir choisi, et qui souvent se taisent dans l’échange ou répondent d’un évasif : « Je ne sais pas encore, je vais voir… » Mais elles savent que c’est tout vu. Qu’elles déclineront les invitations parce qu’elles sentent leur présence incongrue dans l’intimité de familles qui ne sont pas les leurs.  Qu’elles attendront que le jour passe en ayant l’élégance d’essayer de ne pas trop déprimer.
Les cadeaux ? Qui n’a pas entendu que « corvée » leur est souvent associés dans un soupir de résignations ?
Les bons repas ? Un casse-tête pour celles (plus rarement ceux) qui s’en chargent, des souvenirs pénibles d’excès en tout genre, de gastros et de fatigues hépatiques.
Les enfants ? Les autres mois de l’année les trouvent déjà saturés, pour la majorité d’entre eux, et  même dans les milieux peu argentés, enfants rois  dont le goût gâté déjà les rend souvent exigeants et blasés.
La fête ? Loin d’être toujours associée à Noël au final.

     Tout se passe comme si, pour beaucoup, elle relevait  plus d’une auto- persuasion que d’une réalité. La sécularisation de la fête chrétienne de la Nativité verrait-elle là ses limites ?
Et pourtant …
En mettant bout à bout ces bribes d’échange quelque peu désabusés et parfois douloureux, me revient en mémoire le célèbre tableau de Roger van der Weyden : l’adoration des Mages.[1]A l’évidence, la foi  chrétienne de l’artiste s’y trouve  assumée dans son intelligence spirituelle la plus sûre. Ainsi, discrètement accroché sur un pilier de l’étable, un Christ en Croix, dont la verticale semble vouloir briser la douce rencontre des visiteurs au nouveau-né, semble donner, de l’ombre où il se tient, sa véritable dimension à la scène. Le signe de la Passion au cœur même de la crèche, qui, aujourd’hui, oserait l’y déposer ? Et pourtant, c’est bien à partir du passage crucifiant du Christ qu’il a été possible de faire de sa naissance le récit que l’on sait.
La trajectoire de Jésus est bien de bout en bout combat pour sauver la vie qui nous traverse et nous porte, contre sa défiguration par le mal.
Celui qui nait ainsi dans la puissance de vie vulnérable et divine, ce n’est pas l’enfant sucré serti bien au chaud dans le consensus familial et la conviviale ambiance d’un banquet de fin d’année ! Dans l’inconfort de la situation, on imagine Joseph pensif et quelque peu inquiet, Marie mal à son aise et sans doute perplexe. N’a-t-on pas entendu qu’Hérode pourrait prendre ombrage de la naissance de cet enfant ? Et ces Romains qui comptent les gens comme des marchandises…
Jésus dans cette étable, c’est l’irruption de l’amour absolu en plein milieu de nous.
En plein milieu de nos douleurs de vivre, de la violence du  monde, des déchirures de nos liens.
C’est qu’il vient pour nous guérir, nous tirer de nos bourbiers, essuyer nos larmes. Il vient délivrer la joie que nos malheurs recouvrent.
Marchons alors, du fond de la vérité de nos vies, en direction de l’étoile de Dieu, ouvrons  nos mains pour déposer en présents, devant la l’Amour en personne, ce que nous avons de meilleur, et laissons-nous transformer par l’inattendu de la Présence de Dieu dans la crèche des crises que nous connaissons.
Un désir de fête, sûrement, reviendra nous chercher, plus simple peut-être, plus humble au fond, mais plus vraie et plus belle.Marie-Christine BernardArticle paru dans Réforme le  13 décembre 2012

[1] peintre flamand du 15ème siècle