Papa

Il est fou. Fou de joie. Fou d’émotions contradictoires. Il faut dire qu’il en rêvait depuis si longtemps ! Mais il peinait à trouver celle qui deviendrait la mère des enfants dont il serait le père. Il faut dire aussi qu’il fait partie de ces mutants : la seconde génération qui a grandi, s’est formée, vit sa vie, sans aucune référence religieuse. Oh ! Il n’y est pas hostile, non. Simplement, il s’en passe et il ne s’en porte pas plus mal que d’autres, semble-t-il. Quel rapport entre le fait d’être père et la religion ? A vrai dire, je n’en sais rien. Je prends acte que vie de couple, mariage, procréation, fidélité, toutes ces notions, ça se mélange un peu dans sa tête, certaines restent floues, d’autres ont des contours à géométrie variable. Aucun lien avec une tradition en la matière, même pour s’en détacher. Alors c’est comme si tout était à décider, par soi d’abord, puis à deux, par un tissage inter-subjectif complexe, constant. Tout est à inventer en somme. Plusieurs expériences à deux se sont succédées dans sa vie, mais le projet d’un nouveau-né avait tourné court, non sans douleur parfois. Mais cette fois, ça y est ! Il a enfin trouvé LA femme de sa vie. Elle désirait elle aussi un bébé. De lui. Si le mot miracle avait un sens, ce serait bien pour qualifier cet enchaînement de merveilles, jusqu’à la plus merveilleuse : ce petit Pierre tout juste débarqué. Voilà le nouveau papa scotché sur le berceau, les yeux comme des billes. Il parle de basculement en lui. Il est tombé de l’autre côté de lui-même, côté adulte, côté avenir, côté responsable. Comme si la vie avait enfin « pris » en lui. Il murmure : « C’est formidable ! ». Il a du mal à y croire… Décidément…

février-mars 2012