Tendresse

Dans cet établissement spécialisé, les résidents n’ont pas perdu toute leur tête, mais ils sont tous perdus dans la leur.
Dans le meilleur des cas, certains parviennent, par intermittence, comme par accident, à en avoir conscience en quelque fulgurance qui se renouvelle, ou pas. « Je crois que ma tête est vide…».
Mais le plus souvent, chacun, chacune, va et vient, enfermé dans sa bulle, tâtonnant dans un monde inaccessible par d’autres qu’eux, un monde pourtant bien réel pour eux. Ils en éprouvent des sentiments forts, des rires dont on ne peut partager la cause, des chagrins que l’on ne peut consoler, des tristesses que l’on ne peut soulager, des attentes forcément déçues, des déconvenues toujours renouvelées.
C’est terrifiant pour l’entourage qui ne sait que faire, qui ne sait que se tenir là, tenter en vain d’apporter quelque trait de raison, quelque relief d’histoire vraie, quelque parole d’affection. Et une présence silencieuse et aimante.
Le geste demeure et seul semble apporter un peu de paix de part et d’autre : une main posée sur la leur, une caresse sur la joue, deux bras qui entourent en silence un être cher…
Ainsi, le temps d’un baiser, passe l’ange, soulageant l’un et l’autre du  poids de l’indicible, de l’indécidable, de l’impuissance.

Marie-Christine Bernard
Juin 2016