Déprime culturelle

La France dite « profonde » n’est pas partout la même. Lorsqu’on s’aventure dans des contrées qui ne présentent pas d’attraits touristiques particuliers, dont le tissu économique frise la misère, qui survivent uniquement par l’agglomération dévorante présente à 30 ou 40 km de là, elle a, cette part de France, une triste mine et le moral en berne.

Passons sur les boutiques fermées, les volets clos des multiples maisons et logements à vendre ou à louer au milieu de bourgs que l’on devine avoir été quelque peu prospères en un temps jadis dont les vieux se souviennent ; sur les rues désertes, sans personne pour vous donner le renseignement dont le voyageur peut avoir besoin, sans enfants jouant, courant sur les places, sans fleurs ; sur l’église retapée il y a 20 ou 30 et que l’usure gagne à nouveau, d’ailleurs fermée pour des « raisons de sécurité », comme ces maisons quasiment abandonnées et qui ne tiennent que par un savant étayage.
Surtout, par-dessus le marché qui pourtant n’existe plus dans ces bourgs-là, il y a la déprime des habitants. Une sorte de déprime culturelle. De la même famille exactement que celle que j’ai rencontrée dans certaines villes d’Afrique Noire. Elle s’exprime par une perte totale d’estime de soi, le sentiment d’être déclassé, hors-sujet, d’être laissé sur le bord de l’autoroute sur laquelle les gens supposés modernes, normaux et pleins d’avenir circulent avec aisance en captant attention, richesse, prestige. Les habitants souvent âgés ou marginaux, précaires, et plutôt pauvres, déplorent la situation lorsqu’ils en ont encore le courage, mais se cognent à ce qui ressemble au rouleau compresseur d’une histoire de leur pays dont ils constatent avec amertume qu’ils ne sont plus acteurs.
« On n’intéresse personne ». Voilà ce qu’ils disent. Et, alors même que les antennes des services publics sont peu à peu supprimées, on entend aussi ceci : « les villes déversent chez nous les gens ingérables qu’elles ne veulent plus dans leurs banlieues. » Vrai ? Faux ? Plausible en tout cas vu les prix de l’immobilier. Conviction surtout qui fait son chemin dans les esprits. Et n’annonce rien de bon.

Marie-Christine Bernard
Septembre 2013