Livre et liberté

Dans le contexte des nouvelles technologies, l’usage systématisé du clavier, qui avait rendu quasi obsolète la manipulation des crayons et stylos, est pourtant déjà dépassé par l’invasion des écrans tactiles. Des écoliers appliqués, langues tirées, à dessiner sur leurs cahiers des lettres, minuscules et majuscules, bien soigneusement alignées, devient donc une image à ranger au musée. Qui parmi eux écrira ainsi, si tant est qu’il ou elle écrira ? Moi-même, je compose ce billet à partir d’un clavier. J’ai pris conscience il y a peu, en remplissant un formulaire papier, que ma calligraphie était de plus en plus mauvaise, faute de s’entretenir. Mais enfin, je fais partie des personnes qui ont encore le choix, et l’absence de clavier n’est pas pour moi un obstacle à l’écriture. Et puis le livre est en crise : sauf quelques exceptions, les gens de moins de 50 ans ne lisent plus, à part mangas, BD et, bien sût, écrans divers. Il leur faut, dit-on, des textes courts, des phrases simples, et si possible illustrées, et si possible de façon ludique… Comment dire ? Imaginer la fin du livre me remplit d’un mélange d’effroi, de nostalgie, d’un sentiment d’une immense perte. Car ne disparaît pas seulement le support matériel du livre, lequel peut en effet être remplacé : s’en va surtout l’habitude d’une concentration solitaire un peu soutenue devant un texte qui résiste en sollicitant notre imaginaire et notre capacité à conceptualiser ; s’en va aussi l’encouragement à réfléchir, en compagnie d’un auteur, en tenant la corde, le fil du propos, jusqu’au bout, de façon curieuse, accueillante et critique, sans pouvoir zapper au moindre signe d’ennui. La liberté de lire sans dépendre d’une énergie autre que la sienne propre a été une telle conquête… Comment peut-on laisser mourir le livre ?
Marie-Christine Bernard
janvier 2012