Une pauvre vie

Une pauvre existence

Elle vient de décéder, elle n’avait pas 50 ans. De quoi ? Les personnes qui la connaissaient – enfin, les moins lointaines – haussent les épaules. Ils disent ne pas trop savoir. Ils parlent de « mort naturelle » avec une telle insistance que l’on s’interroge. Oh ! Aucun soupçon d’assassinat ne plane derrière les mots. Seule demeure suspendue au-dessus des silences, la probabilité qu’elle ait succombé à une cuite de trop, voire à une overdose de quelque stupéfiant. Cette femme, je la connaissais de loin, de très loin. Mais la vie avait fait que j’en avais eu des nouvelles par épisodes, depuis sa tendre enfance. Elle était née d’un père qui semble n’avoir jamais vraiment désaoulé de toute sa vie, et d’une mère au cœur généreux mais aux capacités limitées. La violence était la couleur du quotidien. A-t-elle été désirée cette enfant ? Et sa sœur cadette, son frère ? Question qui n’a même pas de lieu où se déposer. La tendresse était bourrue et incohérente. La stabilité n’était que de soubresauts, de tangages, d’improbables. Très tôt, cette fille s’est jetée à corps et cœurs perdus dans la recherche d’un amour inaccessible tant la soif s’était creusée. Bien sûr, ses amis et amants étaient tous des personnes à problèmes dont l’alcoolisme était souvent le moindre. Ses emplois toujours précaires, rendus tels par sa propre instabilité. Ses adresses successives, des gourbis provisoires. Ses ressources, des minima sociaux, complétés de quelques passes. Ses amours, des naufrages. Mais elle avait un cœur gros ça, et si elle cédait si vite à tant d’amour pour des pauvres cabossés comme elle, c’est qu’elle n’était pas dupe de sa propre misère affective, et espérait toujours en sortir, elle-même ou les autres. Son décès me fait mal. Comme si cette vie avait été gâchée dès avant sa naissance. Comme si la mort l’avait attrapée avant qu’elle n’ait reçue le minimum. Et que pouvions-nous ? Jetées dans l’impuissance, les quelques personnes lucides de sont entourage. Effrayées même parfois par l’ampleur du dézingage. Je suis sûre qu’elle est dans le royaume de Dieu : sans doute, c’est là le seul endroit où sa soif d’amour sera enfin assouvie, où la vie pourra lui être heureuse en plénitude. « Les prostituées sont les premiers dans le Royaume ». Elle m’aide à comprendre un peu mieux cette logique là.

Marie-Christine Bernard
3 avril 2010