On ne naît pas femme…

Le petit garçon devait avoir 4 ou 5 ans. Rêveur et insouciant, le nez collé à la vitre de l’autobus, il jouissait du spectacle offert par le parcours : des maisons, des rues animées, des voitures, vélos et trottinettes, des arbres, des chiens, des gens. Installé comme un pacha sur la banquette dont il occupait seul les deux places, il avait négligemment laissé choir ses chaussures par terre.

Debout à côté, se tenaient sa mère et une fillette d’une petite dizaine d’années, dont tout indiquait qu’elle était sa sœur. La fillette ne quittait pas son frère des yeux. Elle ne souriait pas.

Quand la maman lui a fait un signe du menton, elle s’est empressée de ramasser les chaussures de son frère et de les lui remettre aux pieds, ou du moins de tenter de le faire. Le garçon ne faisait aucun geste pour l’aider. Il regardait dehors, indifférent, impérial.

Le stress de la fillette était palpable. Il est facile d’en deviner les raisons : peur de ne pas y arriver, de contrarier son frère, de décevoir sa mère.

Devant ce tableau, j’avais le sentiment d’assister en direct à la fabrication du parfait macho, et de son corolaire, la femme soumise.

Dans quelques années il sera devenu un mec ego-centré, convaincu de sa supériorité, s‘attendant à être servi, étranger à la frustration, ne connaissant que le langage de la violence pour imposer ce qu’il estimera « naturel », à savoir son statut de dominant.

La fillette sera une femme marquée par la mésestime d’elle-même, un viscéral manque de confiance en elle, et une abyssale carence d’affection, n’ayant à sa disposition que le consentement à la soumission pour exister. A moins d’entrer en combat et résistance, au prix fort…

Ce spectacle me révoltait.

J’ai bien failli intervenir auprès de la mère.

Mais pour lui dire quoi ? et comment ? et de quel droit ? et en quelle langue puisqu’elle semblait venir d’ailleurs, d’Afrique sans doute ?

Heureusement, l’amie avec qui je me trouvais, sentant mon énervement, m’a tirée par la manche : « Ne t’en mêle pas, ça va dégénérer… » .

Elle avait raison.

Alors j’ai fait le choix de tourner le dos à cette pitoyable scène.

Réduite à l’impuissance, la rage au cœur, je porte depuis l’image de cette fillette au fond de moi.

De toutes mes forces intérieures, je l’appelle à se redresser, à se révolter, à exiger le respect, à croire en elle, à avancer vers la vie, vers SA vie.

Et, l’école étant à l’évidence sa planche de salut, je rends d’emblée hommage aux enseignants qu’elle aura la chance de croiser en balises d’ encouragements et de soutien sur sa route d’émancipation.

Marie-Christine Bernard – Novembre 2022